L'avenir et au-delà

Par Jacques Fresco

 

Nouvelles frontières de changement social

Il a souvent été observé que les crises communes créent des liens communs. Alors que les gens cherchent à tirer profit de périodes de prospérité, la souffrance partagée tend à amener les individus à se rapprocher. Nous avons vu ce comportement répété maintes et maintes fois au cours des siècles, en période d’inondation, de famine, d’incendie ou lors d’autres catastrophes naturelles.

Une fois la menace passée cependant, les modèles, schémas et habitus de manques commencent de nouveau à orienter les gens vers des comportements individuels de recherche d’avantages. Des films sensationnalistes tels que Independence Day présentent un monde uni dans le but de repousser l’invasion d’une culture étrangère hostile. En effet, il semble que la seule force qui mobiliserait l’ensemble des habitants du monde dans une direction serait celle qui pose une menace commune, comme un météore colossal fonçant vers la terre, ou une autre catastrophe majeure. Si un tel événement devait se produire, tous les différends frontaliers deviendraient sans intérêt au regard de la catastrophe imminente.

Alors qu’un grand nombre appellerait à une intervention divine pour le salut, toutes les nations conjugueraient certainement leurs efforts et feraient appel à la science et la technologie pour faire front à cette menace commune. Banquiers, avocats, hommes d’affaires et politiciens seraient tous contournés. Chaque ressource serait exploitée et mobilisée, sans se soucier d’un quelconque coût monétaire ou de profit.

Sous ce type de condition menaçante, la plupart des gens réalisent où réside la clé de leur survie. Par exemple, durant la Seconde Guerre mondiale, ce fut l’effort de guerre ou la mobilisation collective des ressources humaines et matérielles qui conduisirent à une résolution réussie pour les États-Unis et leurs alliés.

À mesure que la quantité d’informations scientifiques se développe, les nations et les peuples commencent à réaliser que même dans le monde divisé d’aujourd’hui, il y a en fait de nombreuses menaces communes qui transcendent les frontières nationales. Celles-ci comprennent la surpopulation, les pénuries d’énergie, la pollution, le manque d’eau, les catastrophes économiques, la propagation de maladies incontrôlables et ainsi de suite. Toutefois, même face à des menaces de cette magnitude qui sont communes à toutes les nations, l’orientation de l’action humaine ne sera pas altérée aussi longtemps que des nations puissantes seront en mesure de conserver le contrôle sur des ressources limitées disponibles.

Bien que beaucoup de gens, de publications et de présentations sur de nombreux supports décrivent différents aspects de l’avenir et peignent des tableaux spectaculaires sur les développements futurs dans des domaines tels que le transport, le logement et la médecine, ils ignorent le fait que dans une économie basée sur la monnaie, les pleins avantages de ces développements continueront d’être disponibles à une minorité relative. Ce qui n’est pas abordé est la façon dont ces nouvelles technologies peuvent être utilisées pour organiser les sociétés et les économies efficacement et équitablement, sans nécessité d’uniformité, de sorte que tout le monde puisse en bénéficier. Les quelques groupes de réflexions consacrés à la recherche d’approches novatrices pour amener l’organisation sociale au diapason avec les capacités technologiques d’aujourd’hui ne traitent pas du changement social comme un plan global des systèmes.

Il n’y a pas de plans sociaux globaux au sein du gouvernement ou de l’industrie en vue d’éliminer totalement les effets négatifs du chômage technologique, pas plus qu’il ne semble y avoir de considération véritable de le faire. De nombreuses personnes croient que dans le cas d’un effondrement social, le gouvernement apportera les changements nécessaires à leur survie. C’est pourtant hautement improbable. Dans le cas d’une telle catastrophe, le gouvernement existant déclarerait plus probablement l’état ​​d’urgence dans une tentative d’empêcher un chaos total. Il instituerait alors des mesures qui pourraient traiter les problèmes immédiats, en même temps que tenter de préserver les institutions existantes et les structures de pouvoir, fussent-elles le plus haut facteur contribuant aux problèmes.

Historiquement, beaucoup de personnes se sont servis des politiciens pour l’exécution d’actions qui n’ont pas été entièrement dans le meilleur intérêt de la société. Les raisons pour cela apparaissent plus clairement lorsque l’on réalise que, même dans les démocraties modernes, ces dirigeants ne servent pas les intérêts vitaux de la personne moyenne. Au contraire, ils maintiennent les positions préférentielles d’une grande partie de l’ordre établi. Il y a de croissantes indications de réflexions dans de nombreuses zones du monde sur le fait que les événements sont allés au-delà du contrôle de leurs dirigeants politiques. Partout, nous voyons les figures et partis politiques aller et venir, des stratégies politiques adoptées et écartées pour leur incapacité à satisfaire les demandes d’une faction ou d’une autre.

La raison pour laquelle nous ne suggérons pas d’écrire à votre représentant au Parlement, ou n’importe quelles autres agences gouvernementales, c’est qu’elles n’ont pas les connaissances nécessaires pour traiter nos problèmes. Leur objectif est de préserver les systèmes existants, pas de les modifier. Il apparaît que rares sont celles et ceux dans les sociétés d’aujourd’hui qui veulent progressivement s’auto-exclure. Dans les sociétés industrielles modernes, la cause de l’inaction réside dans l’encombrant processus politique lui-même, un anachronisme dans une époque où la plupart des décisions peuvent être prises sur toute question importante en une fraction de seconde par l’entrée objective de données pertinentes dans les ordinateurs.

Les conditions premières et primordiales qui seraient vraiment effectives à un changement social viendront quand les conditions se seront détériorées à un point tel que les gouvernements, les politiciens et les institutions sociales n’auront plus le soutien et la confiance du peuple. Ce qui jadis fonctionna est reconnu comme n’étant plus pertinent. C’est seulement dans le cas où le public serait mieux informé, qu’il serait alors effectivement possible d’introduire un arrangement social nouveau et amélioré.

Malheureusement, aujourd’hui, la majorité de la population adopte des réponses trop simplistes à des problèmes complexes, tendant ainsi à répéter le cycle des évènements.

Lorsque nous sommes confrontés à des conditions sociales intolérables, bon nombre des anciens modèles émergent à nouveau. Nous pouvons prendre comme exemple les gens essayant de trouver quelqu’un ou quelque chose à blâmer pour leurs conditions : les minorités, les immigrés, la négligence dans l’adhésion à des principes religieux ou à des valeurs familiales, et les influences de certaines forces surnaturelles inexplicables. Le changement social véritable n’est pas apporté par les femmes et les hommes de raison et de bonne volonté à un niveau personnel. La notion selon laquelle nous pouvons nous asseoir et parler à des personnes pour modifier leurs valeurs est hautement improbable. Si l’individu à qui l’on parle n’a pas les connaissances fondamentales de l’application des principes scientifiques et des processus des lois naturelles, il est difficile pour lui de comprendre comment les pièces s’emboîtent à ​​un niveau holistique, global.

Les solutions à nos problèmes ne viendront pas au grand jour par l’application de la raison ou de la logique. À l’heure actuelle nous ne vivons pas dans un monde raisonnable ou logique. Il apparaît qu’il n’existe aucune trace historique d’un dirigeant d’une société établie ayant délibérément et de manière exhaustive reconçu une culture pour l’adapter aux temps changeants. Tandis qu’il ne fait aucun doute que les leaders politiques, dans une mesure limitée, modifient certains modes de comportement, les véritables facteurs responsables du changement social sont provoqués par des pressions biosociales, qui sont inhérentes à tous les systèmes sociaux. Le changement est apporté par des occurrences naturelles ou économiques qui affectent négativement les conditions immédiates d’un grand nombre de personnes.

Certaines des pressions biosociales responsables du changement social ont pour facteur des ressources limitées, la guerre, la surpopulation, les épidémies, les désastres naturels, les récessions économiques, les extinctions massives, le chômage technologique, et l’échec des officiels élus à surmonter les problèmes. L’introduction du vecteur monétaire dans le processus d’échange a apporté un changement significatif dans la société, à l’identique de l’introduction de l’agriculture mécanisée et de la Révolution Industrielle.

Nous ne pouvons pas régresser vers des valeurs traditionnelles, lesquelles ne s’appliqueraient plus. Toute tentative de retour à des méthodes passéistes condamnerait une masse indicible à une vie de misère, de labeur et de souffrance inutiles. Cependant, il ne suffit pas de souligner les facteurs limitants qui pourraient menacer la survivabilité de toutes les nations. Le défi auquel toutes les cultures devront faire face en cet âge technologique – certaines plus que d’autres – est celui de fournir une transition plus douce, qui induirait une manière plus appropriée de penser l’humain, la gestion de ses ressources et l’environnement.

La survie ultime de l’espèce humaine dépend de la planification à l’échelle globale et de la recherche coopérative de nouvelles alternatives avec une orientation relative à des meilleurs arrangements sociaux. Si le genre humain doit parvenir à une prospérité mutuelle, l’accès universel aux ressources est essentiel.

Parallèlement à l’introduction de nouveaux paradigmes en direction de préoccupations humaines et environnementales, il doit y avoir une méthodologie pour faire de tout cela une réalité. Si ces fins doivent être réalisées, le système monétaire devra finir par évoluer vers une Économie mondiale Basée sur les Ressources. De manière à utiliser efficacement et économiquement les ressources, la technologie cybernétique et informatique nécessaire pourrait éventuellement être appliquée pour assurer un niveau de vie plus élevé pour tous. Avec l’application humaine et intelligente de la science et de la technologie, les nations du monde pourraient guider et façonner l’avenir pour la préservation de l’environnement et de l’humanité.

Ce qui est nécessaire pour atteindre une société planétaire est un plan global intégré pratique et internationalement acceptable.

Ce qui est également nécessaire est un conseil de planification international capable de traduire les plans et les avantages qui seraient acquis grâce à l’unification mondiale. Cette proposition pourrait être présentée en langue vernaculaire, de sorte que les personnes n’ayant de bagage technique puissent aisément comprendre. Dans les faits, personne ne devrait prendre de décisions quant à la façon dont ce plan sera conçu. Le processus doit se fonder sur la capacité porteuse de notre planète, ses ressources, les besoins humains et d’autres données. Dans l’objectif de veiller à la durabilité de notre civilisation, nous devons coordonner et synchroniser les technologies avancées et les ressources disponibles dans une approche universelle, humaine et symbiotique.

Il ne fait aucun doute que la plupart des professions qui nous sont actuellement familières finiront par être éliminées. À la vitesse où se déroulent les changements aujourd’hui, un large éventail de professions obsolètes disparaîtra plus rapidement et plus massivement qu’à n’importe quel autre moment de l’histoire. Dans une société appliquant une approche systémique, ces métiers seront remplacés par des équipes interdisciplinaires – des analystes de systèmes, programmeurs informatiques, chercheurs opérationnels, et ceux qui relient le monde en de vastes réseaux de communication, assistés par des ordinateurs numériques à haute vitesse. Ils finiront éventuellement par nous conduire à des méthodes de fonctionnement social informatiques à grande échelle. Les opérations sociales sont beaucoup trop complexes aujourd’hui pour que tout élu politique puisse les gérer.

Il apparaît que la plupart des politiciens ne prêtent pas sérieusement attention à cela, tout comme à d’autres problèmes. C’est seulement en temps de guerre ou d’urgence nationale que nous faisons appel et structurons des équipes interdisciplinaires pour aider à trouver des solutions fonctionnelles aux divers problèmes sociaux. Si nous appliquions les mêmes efforts de mobilisation scientifique comme nous le faisons au cours d’une guerre, des effets bénéfiques à grande échelle pourraient être atteints dans un temps relativement court. Cela serait facilement accompli en utilisant un grand nombre de nos universités, centres de formation, et leurs ressources humaines pour déterminer au mieux les possibles méthodes alternatives à la résolution de ces problèmes. Ce modèle pourrait éventuellement nous aider à définir les paramètres de transition possibles pour l’avenir d’une civilisation globale soutenable.

Le processus de changement social doit permettre aux conditions changeantes de mettre à jour continuellement les paramètres des idées et concepts, et permettre l’infusion de nouvelles technologies au sein de cultures émergentes. Des équipes de planification utilisant des ordinateurs socialement intégrés pourraient automatiquement être informées des nouveaux développements. Alors que ce processus est continuellement mis à jour, il générerait un code plus approprié de conduite. Par conduite appropriée nous entendons les procédures nécessaires pour accomplir une tâche donnée.

Toutes les limitations nous étant imposées par notre système monétaire actuel pourraient être dépassées par l’adoption d’un consensus planétaire pour une Économie mondiale Basée sur les Ressources dans laquelle toutes les ressources de la planète sont considérées et traitées comme l’héritage commun de tous les habitants de la Terre. De cette manière, le monde et nos procédures technologiques pourraient nous fournir une quantité illimitée de biens matériels et de services, sans création d’une dette ou d’une quelconque taxation.